Il ne faut jamais marcher sur une mine… même en escarpin.
Leçons parisiennes de communication en terrain miné.
Tout est parti d’une série d’articles sur les notes de frais de la maire de Paris, Anne Hidalgo. Repas, déplacements, hôtels, frais de représentation, etc., des dépenses parfaitement légales, mais politiquement inflammables, dans un contexte de défiance et de tensions sociales, où chaque facture devient symbole. Anne Hidalgo, consciente du risque à se trouver au cœur de la cible, a choisi comme défense ce que nous pouvons nommer, la transparence offensive.
Face à la polémique, la maire de Paris a donc organisé la publication de l’ensemble des notes de frais des vingt maires d’arrondissement, avec pour objectif de montrer que tout le monde fonctionne selon les mêmes règles.
La défense d’Anne Hidalgo : l’art de déplacer la cible
D’un point de vue rhétorique, la séquence Hidalgo est un cas d’école de repositionnement. Elle repose sur trois ressorts :
La dépersonnalisation :
On ne parle plus “d’Hidalgo”, mais d’un système global de dépenses de représentation. Elle transforme la question “Pourquoi vous ?” en “Comment ça fonctionne ?” En communication de crise, déplacer la focale, c’est déjà regagner du temps.
L’argument du « suis-je la seule ? » :
Publier les chiffres (surtout ceux des autres), c’est montrer qu’on n’a rien à cacher de particulier, en tout cas rien de pire ou de plus scandaleux que ce que font bien d’autres.
Récrire la narration :
Là où beaucoup auraient multiplié les interviews et les justifications, elle a choisi l’acte administratif, comme outil efficace pour orienter la narration vers une autre cible.
Pour le traduire en termes militaires, elle a installé autour de cette question un champ de mines en espérant que « sur un malentendu » comme disait Jean-Claude Dusse, quelqu’un pose le pied sur l’une d’entre elles et que la diversion soit alors totale.
Et soudain… la déflagration du 8ᵉ arrondissement.
Parmi les notes rendues publiques, figurait un cas qui, jusque-là, dormait dans les livres de comptes, celui de Jeanne d’Hauteserre, maire du 8ᵉ arrondissement, dont notamment 35 779,65 euros de frais d’habillement sur trois ans, dont le plus souvent des vêtements de marque voire de luxe. Là encore, rien d’illégal, ce sont des frais de représentation, acceptés à tout le moins enregistrés par les services administratifs.
Mais invitée à s’expliquer, elle prononce la phrase qui fera le tour des rédactions :
“On me montre partout depuis trois jours, avec cette image de maire toujours bien sapée, toujours élégante, je suis quand même maire du 8e arrondissement. Chaque maire a une enveloppe de 990 euros par mois et chaque maire peut la dépenser comme il veut. Moi, j’ai préféré m’acheter des fringues pour être bien sapée”.
Jusqu’alors, elle avançait en posant le pas entre les mines, jusqu’au moment où elle décida d’ajouter :
« Je comprends tout à fait qu’une personne qui gagne 1 200 euros par mois soit choquée qu’on ait droit à 990 euros de frais de représentation. Et d’ailleurs, je profite de l’occasion pour remercier tous nos concitoyens qui travaillent et qui nous permettent d’avoir ces indemnités. »
Boum !
En un instant, la crise collective devient individuelle, et la légèreté de ton se transforme en symbole de déconnexion. Et la mine explose sous la semelle rouge de l’escarpin.
C’est le moment où la rhétorique se retourne contre celle qui la manie mal, permettant à Anne Hidalgo de sortir de la ligne de mire.
Ce que la maire du 8ᵉ a mal fait (et ce qu’elle aurait pu faire)
Analysons sa défense : elle a voulu désamorcer la situation par le ton, l’humaniser par l’humour, et l’assumer par le naturel. Trois réflexes fréquents… et dangereux.
L’humour en communication de crise : C’est l’interdit absolu. L’humour est un luxe réservé aux vainqueurs, jamais aux accusés.
Le ton familier : L’usage du vocabulaire à la Gims “bien sapée” utilisé sans doute pour une recherche de familiarité, installe en réalité une fausse proximité. Ce mot de bistrot accentue le mépris perçu.
Le “merci aux Français” catastrophique : Pour qu’une mine antipersonnelle se déclenche, il faut qu’un certain poids s’exerce sur le mécanisme ; la dernière phrase maladroite et dévastatrice a parfaitement rempli ce rôle. Il faut bien avouer que comme maladresse … c’est du lourd.
Elle aurait pu dire sobrement : “Ces dépenses de représentation sont mal comprises. J’ai décidé de les rembourser intégralement.” Point final. Cinq secondes, pas un mot de plus. Cette phrase, elle l’a prononcée le surlendemain, autrement dit, bien trop tard.
Ce qu’un communicant aurait empêché.
Et dire qu’avant d’entrer en politique, Jeanne d’Hauteserre avait fait ses classes dans la publicité dans les années 1980 auprès de Jacques Séguéla. Elle a peut être estimé que son expérience passée la dispensait de faire appel à un professionnel, à un communicant.
Pourtant un communicant, c’est celui qui dit avant l’interview : Non, cette phrase-là, vous ne la direz pas ! pas par censure, mais par lucidité.
Il aurait ajusté le registre, simulé les réactions probables, trouvé la phrase pivot (“Je rembourse, et je comprends la réaction”), conseillé la sobriété émotionnelle.
En une séance, il aurait transformé la crise en micro-événement, pas en sujet pour les réseaux sociaux. C’est le rôle parfois du communicant de protéger l’image de son client contre lui-même.
Prenez note.
La maladresse, la mésaventure de cette élue parisienne, vous concerne.
Le PDG d’une PME, le fondateur d’une start-up, le président d’un syndicat comme d’une association, le directeur d’un établissement public : tous sont des figures d’incarnation.
Et tous peuvent, un jour, se retrouver à devoir expliquer une décision, une erreur, une dépense.
Ce que la séquence parisienne enseigne, c’est simple :
Mauvais réflexes : Répondre dans l’émotion ; s’expliquer trop ; vouloir “faire simple” (et familier) ; parler seul.
Bons réflexes : Attendre, cadrer, formuler ; dire moins, mais agir plus ; faire clair (et sobre) ; se faire à minima relire, mais surtout se préparer stratégiquement et rhétoriquement
Moralité (et plaidoyer pro domo assumée)
On confond souvent le communicant avec un attaché de presse ou un ventriloque. Erreur. Un communicant, c’est une vigie stratégique, un garde du corps invisible qui repère les mines avant que vous ne marchiez dessus, et croyez moi, son travail coûte toujours moins cher qu’une garde-robe à rembourser et une image à reconstruire. Une seule séance de préparation avec un communicant aurait suffi à éviter la catastrophe.
Les politiques commencent (pas tous on le voit bien) à comprendre qu’ils doivent se faire accompagner. Les dirigeants d’entreprise tardent encore.
Parce qu’ils se croient spontanés, solides, naturels. Mais le naturel, en communication de crise, c’est un bandeau sur les yeux du dirigeant qui traverse un champ de mines.
Alors oui : chaque dirigeant devrait avoir un communicant, comme il a un expert-comptable ou un avocat.
Non pour briller, ou être éloquent, juste pour éviter bien des emmerdements.



