Il ne suffit pas d'avoir raison, pour avoir raison !
Vous avez raison, pourtant… tout le monde s'en fiche ? Voici pourquoi.
Pourquoi avoir raison ne suffit pas ?
Avez-vous déjà vécu cette situation frustrante en réunion : vous exposez votre idée avec des arguments solides, des faits vérifiés, des chiffres irréfutables, des courbes, des graphiques… la salle semble acquiescer, mais personne ne vous suit vraiment. Puis un collègue prend la parole. Il ne développe aucun argument, donne zéro chiffre, il raconte une anecdote et conclut par une phrase qui claque comme un slogan. Et il emporte la décision !
C’est agaçant, non ?
Que s’est-il donc passé?
Non ce n’est pas une question de charisme. (Ce charisme dont on parle tant, mais qui n’existe pas vraiment, ou si peu.)
C’est bien souvent une erreur technique et/ou stratégique : vous avez cherché avant tout à convaincre, alors qu’il fallait aussi persuader.
Convaincre vs persuader : deux armes bien différentes
Convaincre, c’est abattre la carte du raisonnement logique. Vous alignez les faits, les chiffres, les arguments rationnels. Vous visez l’intelligence de vos interlocuteurs. Votre discours est rigoureux et pédagogique. Parfait.
Persuader, c’est viser les émotions, les valeurs de votre auditoire, en développant des images fortes, en racontant des histoires. Top.
Imaginez que vous devez convaincre votre équipe d’adopter une nouvelle méthode de gestion du temps.
En convainquant : Vous expliquez que cette méthode a permis à une entreprise similaire de gagner 20 % de productivité en six mois. Vous alignez des graphiques impressionnants et des tableaux comparatifs.
En persuadant : Vous racontez l’histoire de salariés débordés, qui grâce à cette méthode, ont enfin pu récupérer des soirées en famille.
Quand utiliser l’un ou l’autre ?
Convaincre est plus efficace lorsque…
Votre public est rationnel, technique ou analytique.
Vous vous adressez à des professionnels qui attendent des preuves solides.
L’enjeu est financier, stratégique ou réglementaire.
Exemple : Lors d’une réunion avec vos actionnaires, vous devrez démontrer par des faits que votre nouvelle stratégie d’investissement est viable.
Persuader est plus efficace lorsque…
Votre public est réticent, inquiet.
Vous cherchez à mobiliser, inspirer ou rassurer.
Vous voulez déclencher une prise de décision rapide ou engager votre auditoire dans l’action.
Exemple : Si votre équipe doute de la nouvelle direction à prendre, c’est en racontant une histoire inspirante que vous les rallierez.
Le combo gagnant : convaincre et persuader
L’erreur la plus courante est de croire qu’il suffit d’avoir raison, pour être automatiquement suivi.
Les sciences humaines nous montrent depuis longtemps, combien la rationalité humaine est limitée, et comment “la faiblesse de la volonté” guide bien souvent la majorité des comportements humains.
Le concept de faiblesse de volonté, tel que développé par Jon Elster dans ses cours du Collège de France, renvoie à la situation où un individu agit à l'encontre de ce qu'il juge être son propre intérêt ou sa propre décision rationnelle. Cette idée est intimement liée à la notion d'akrasia, issue de la philosophie grecque, qui décrit le phénomène où une personne agit contre sa propre raison malgré une pleine conscience de ce qu’elle devrait faire.
Regardez sa leçon inaugurale “Raison et raisons” du 1er juin 2006 (57 minutes)
Je ne connais aucun fumeur compulsif, ou buveur d'alcool régulier, qui ne sachent que tout ça est particulièrement néfaste à sa santé. Chiffres, graphiques, radio pulmonaire, résultat d'analyse de sang catastrophique, devraient normalement suffire à convaincre qu'il faut modifier son comportement et réduire sa consommation.
Les choses se déroulent elles ainsi, bien évidemment non.
Je peux être convaincu qu'il faut modifier mon comportement, et pourtant ne rien faire dans ce sens.
Convaincre ne suffit pas. Je n'agis que lorsque je suis persuadé.
Des moments réussis.
Pour mieux comprendre cette mécanique, évoquons quelques exemples célèbres où convaincre et persuader se sont révélés déterminants.
Steve Jobs et le lancement du premier iPhone (2007)
Lorsque Steve Jobs a dévoilé l’iPhone, il aurait pu se contenter de vanter ses caractéristiques techniques. Mais il a fait bien plus.
Il a commencé par convaincre en expliquant que l’iPhone était un téléphone, un iPod et un navigateur Internet réunis dans un seul appareil.
Puis il a persuadé en expliquant comment cet objet allait révolutionner notre quotidien. Il ne vendait pas un smartphone : il vendait une nouvelle façon de vivre.
Leçon : Il a d’abord rassuré les sceptiques avec des faits, puis il a séduit les foules avec une vision. Il semblerait que cela n'a pas trop mal fonctionné.
Jacinda Ardern, ancienne Première ministre de la Nouvelle-Zélande, lors de sa gestion de la crise du COVID-19.
Elle commence par convaincre en détaillant avec précision les mesures sanitaires adoptées : confinement strict, fermeture des frontières, et calendrier rigoureux des étapes de réouverture. Son discours est limpide, rationnel et fondé sur des données scientifiques.
Puis elle persuade en adoptant un ton chaleureux et empathique, insistant sur l’importance de la solidarité nationale et de la protection des plus vulnérables. Elle utilise des expressions comme "Faites le pour vos proches" ou "Nous sommes une seule et même équipe de cinq millions de personnes", créant ainsi un sentiment d’unité et de responsabilité collective.
Leçon : En associant des arguments techniques solides à un langage émotionnel et inclusif, elle a su rassurer son peuple tout en mobilisant son engagement.
En janvier 2023, à 42 ans, elle démissionne de son poste au cours de son second mandat, en expliquant simplement « n'avoir plus assez d'énergie » pour continuer. La Harvard Political Review qualifie sa personnalité par « l'authenticité, l'empathie et l'audace », qui sont tous des éléments forts de persuasion.
Astuces pratiques pour mieux convaincre et persuader
Pour convaincre :
Structurez votre discours avec une logique implacable (introduction, démonstration, conclusion).
Alignez vos arguments selon une progression pédagogique claire (du plus évident au plus complexe).
Utilisez des données vérifiables, des exemples concrets et des sources crédibles.
Astuce : Si votre auditoire est sceptique, commencez par rappeler un point sur lequel vous êtes déjà d’accord. Cela crée un terrain favorable pour introduire vos arguments.
Pour persuader :
Racontez des histoires marquantes qui suscitent des émotions.
Utilisez des métaphores et des images fortes pour rendre vos idées vivantes.
Adoptez un ton plus personnel et chaleureux.
Astuce : Utilisez le "Vous" autant que possible. "Vous allez découvrir…" est bien plus engageant que "Ce produit permet de…".
Winston Churchill, maître du combo gagnant
Lors de son célèbre discours du "We shall fight on the beaches", Churchill a commencé par énoncer froidement les réalités militaires (convaincre). Mais c’est sa conclusion exaltante qui a galvanisé l’opinion publique (persuader).
Nous nous battrons en France, nous nous battrons sur les mers et les océans, nous nous battrons dans les airs avec une confiance et des moyens sans cesse croissants.
Nous défendrons notre île à n’importe quel prix. Nous nous battrons sur les terrains d’atterrissage, nous nous battrons dans les champs et dans les rues ; nous nous battrons dans les collines.
Jamais nous ne nous rendrons !
Et même si notre île ou une partie de celle-ci devait se trouver conquise et affamée – ce que je ne crois pas un seul instant – alors notre empire d’outre-mer, armé et protégé par la flotte, poursuivrait la lutte, jusqu’à ce que Dieu fasse que le Nouveau Monde, avec toutes les ressources de sa puissance, avance pour secourir et libérer l’Ancien.
Winston Churchill, le 4 juin 1940
Leçon : Si Churchill avait seulement donné des faits, il aurait informé. S’il avait seulement exalté l’émotion, il aurait inquiété. En combinant les deux, il a inspiré une nation entière.
Le mythe du « contenu pur ».
Beaucoup pensent que lors d'une prise de parole, ce qui compte avant tout, c’est le contenu. Que si votre message est solide, bien structuré et riche d’idées percutantes, le reste suivra.
Cette croyance est un piège. Mortel. Un mythe tenace qui pousse certains à négliger ce qui donne véritablement de la force à leur discours : la manière dont ils le portent.
En réalité, en communication orale, fond et forme sont inséparables. L’un ne vit pas sans l’autre. Un bon message mal présenté ne vaut rien
En prise de parole, vos idées n’existent que par la manière dont vous les donnez à voir et à entendre. Sans énergie, sans regard, sans rythme, vos mots restent creux.
Votre capacité de persuasion s'émousse.
Une belle forme ne sauve pas un fond vide pour autant.
À l’inverse, la forme ne peut pas tout rattraper. L’orateur qui mise uniquement sur l’effet sans travailler son contenu finit par perdre en crédibilité. Ses auditeurs auront peut-être souri… mais retiendront ils vraiment quelque chose ?
Un discours marquant, c’est un contenu clair et pertinent, porté par une forme qui le sublime.
Le plus intéressant, c’est que fond et forme s’influencent mutuellement.
Un message grave impose une posture plus sobre. Un contenu humoristique exige du rythme et des pauses bien placées. Vous ne pouvez pas annoncer une rupture conventionnelle avec le sourire aux lèvres ni expliquer un concept technique en débitant vos idées à toute vitesse.
À l’inverse, une belle métaphore, une anecdote bien choisie ou un silence appuyé donnent du poids à votre propos. La forme devient alors un outil précieux pour mettre en valeur le fond.
En prise de parole, il ne s’agit pas de « choisir » entre le fond et la forme, mais de les accorder comme les deux voix d’un même chant.
Incarner son message : la clé du succès
Finalement, c’est cette capacité à incarner votre propos qui fait toute la différence.
Quand vos mots, votre ton et vos gestes racontent la même chose, vous devenez crédible. Votre auditoire ne vous écoute pas seulement : il vous croit.
Et c’est là que le mythe du « contenu pur » vole en éclats : un bon message, c’est un message qui respire, qui vit à travers vous.
Conclusion
Pour convaincre et persuader, il ne suffit pas d’avoir des idées brillantes. Parce qu’un message, aussi puissant soit-il, n’a de force que s’il franchit la seule frontière qui compte vraiment : celle des émotions.
Car les faits rassurent, mais c’est l’émotion qui emporte l’adhésion. L’un sans l’autre, vous risquez de n’être qu’une voix parmi tant d’autres.
La bonne nouvelle, c’est que cet art du dosage n’est pas un don inné, mais une compétence qui se travaille, se peaufine et s’affûte comme une lame bien aiguisée.
Et justement, je suis là pour vous aider à manier ces deux armes avec précision et efficacité. >> escrime.oratoire@gmail.com



