Le charisme n’existe pas !
Et c'est sans doute la meilleure nouvelle que vous lirez aujourd'hui.
Bonjours les escrimeurs oratoire !
Aujourd’hui, je vous propose de nous débarrasser de l’un des mots les plus encombrants du monde de la parole, de la rhétorique de l'éloquence et de l'escrime oratoire.
Un mot qu’on admire, qu’on craint, qu’on jalouse…
Un mot qui brille, mais qui, souvent, aveugle.
Ce mot, c’est le charisme.
Car le charisme n’existe pas.
C’est même la meilleure chose qui puisse vous arriver, si vous cherchez à progresser en art oratoire.
Si j'ai souhaité aborder la question du charisme aujourd’hui, c'est parce qu'il y a quelques semaines, quelqu'un est entré en contact avec moi parce qu'il souhaitait améliorer ses qualités en communication orale, et qu'il m'a dit au cours de l'entretien exploratoire de début d'accompagnement : « j'aimerais avoir du charisme, j'aimerais que vous m'aidiez à avoir du charisme. »
Et je lui ai alors répondu « je suis désolé, je ne peux rien faire pour vous, monsieur, le charisme, ça n'existe pas ». Pour être tout à fait honnête, j'étais sûr de faire mon petit effet avec ce genre de réponse et il n'est jamais mauvais d'utiliser un peu ce qu'on enseigne aux autres.
Mais au-delà de l'effet rhétorique d'un tel raccourci, il se trouve que c’est sans doute la meilleure réponse de fond que je peux lui faire.
Le charisme n'existe pas, dans le sens où personne ne possède de charisme, parce que le charisme, ce n’est pas quelque chose qu’on a. C’est quelque chose qu’on vous prête. Le charisme n'existe pas en vous, il n'est présent que dans le regard de celles et ceux qui veulent bien vous considérer comme charismatique.
Pour bien vous faire comprendre la chose, il faut disséquer le vocabulaire que nous allons utiliser.
Le terme "charisme" provient du grec kharis, qui signifie « grâce » ou « faveur divine ». Il est repris au XXe siècle par le sociologue Max Weber, qui dans Économie et société en 1922, définit le charisme comme une qualité perçue comme exceptionnelle, qui permet à une personne d’exercer un pouvoir, sans avoir besoin d’institution, de hiérarchie, de règles.
Le caractère subjectif du charisme est évident : ce n’est pas une qualité mesurable, mais une construction sociale, fondée sur la croyance en un pouvoir personnel extraordinaire. Weber explique « Ce n’est pas la personne charismatique qui détient une qualité, mais le regard que les autres posent sur elle, qui la fait charismatique. »
Pour Weber, le charisme c’est l’autorité par la fascination.
Ce n’est pas une qualité qu’on possède, c’est une reconnaissance.
« Ce n’est pas la personne charismatique qui détient une qualité, mais le regard que les autres posent sur elle qui la fait charismatique. »
Et ce basculement change tout.
Si on veut jouer au pédagogue en rhétorique pédant, on peut dire que le charisme est un effet et pas une essence.
Des recherches contemporaines, notamment en psychologie sociale, sont venues plus tard confirmer cette approche. Le psychologue John Antonakis, explique que ce que nous appelons charisme… n’est ni mystérieux ni inné.
C’est un ensemble de comportements observables et reproductibles qui peuvent être enseignés et mis en scène, comme un outil rhétorique et non comme une qualité intrinsèque. « Le charisme n’est pas une qualité magique ; c’est un ensemble de comportements qui peuvent être appris et reproduits » dit-il.
Cela suggère que le charisme n’est pas une essence, mais une performance. Et le plus intéressant : les techniques permettant cette performance peuvent s’apprendre.
Il identifie même 12 techniques verbales et non verbales (storytelling bien construit, métaphores visuelles, modulation de la voix, silence stratégique, posture stable, regard soutenu… etc., utilisés par les leaders considérés comme « charismatiques ».
Dans une expérience de terrain, il enseigne cette technique à un groupe de managers, et compare l’impact perçu de leurs discours avant et après. Résultat : la perception de leur charisme grimpe en flèche.
Conclusion : « Le charisme n’est pas une qualité magique. C’est une série de comportements que l’on peut apprendre, pratiquer, et reproduire. »
Le charisme est donc une construction culturelle et contextuelle.
Napoléon, Mandela, Steve Jobs, Barack Obama : ces figures sont souvent citées comme « charismatiques », mais le contexte historique et culturel joue un rôle déterminant dans la façon dont leur comportement est perçu. Un comportement perçu comme « magnétique » dans une culture donnée pourra paraître banal, voire déplacé, ailleurs.
Exemple : Le silence et la retenue sont parfois perçus comme du charisme en Asie de l'Est (culture de la modestie), alors qu’en Occident, l’éloquence et l’assurance verbale dominent cette perception.
Le charisme réside dans un phénomène de projection
La psychologie cognitive évoque ici l’effet de halo : quand une personne nous plaît par un trait — beauté, voix, confiance en soi —, on lui attribue toute une série d’autres qualités, sans justification rationnelle : leadership, intelligence, autorité.
« Nous aimons penser que le charisme vient de l’intérieur, mais il naît surtout de notre besoin d’admirer », écrit Olivia Fox Cabane, dans son livre Le charisme démythifié.
C’est irrationnel. C’est humain.
Et c’est sur ce terrain là que le mot "charisme" prospère.
Le charisme se présente comme une forme moderne du sacré
Les médias, le monde politique, le marketing savent très bien utiliser cette confusion.
À l’instar du droit divin ou du génie naturel, le « charisme » devient une explication mystique. Une façon de construire l’image d’un leader, sans avoir à prouver ses compétences.
Cela est ancré si fort, que si vous demandez à une IA : propose moi un visuel pour illustre le charisme, voilà ce que vous obtenez.


Edifiant !
Et plus on sacralise cette idée, plus on décourage les autres de se l’approprier.
Parce qu’on en fait un privilège. Une énigme. Une exception.
C’est pratique. C’est vendeur.
Mais si le charisme « n’existe pas », que reste-t-il ?
Il reste des compétences concrètes, des habitudes de communication, et surtout une attention portée aux attentes de l’auditoire. Ce que beaucoup nomment « charisme » n’est rien d’autre qu’un alignement temporaire entre une posture et un besoin collectif.
Dans les ateliers, les formations, et les coachings, j’entends très souvent, cette phrase: « Moi, je n’ai pas ce charisme… je suis plus technique. »
Sous-entendu : je ne pourrai jamais captiver une salle ni m’imposer dans un débat. Et donc… pas la peine d'essayer, d’oser, pas la peine de bosser.
Cette croyance est totalement fausse, puisque le charisme c'est justement de la technique, et par voie de conséquence cette croyance est profondément bloquante.
Alors évacuons une bonne fois pour toutes, l'aspect magique du charisme, en supprimant tout simplement le mot charisme de notre vocabulaire en commun.
En effet, face à un mot qui pose problème à un moment donné, il y a deux manières de procéder : imposer une nouvelle définition du mot dans le vocabulaire commun, c'est très long même si au bout du compte cela se révèle particulièrement efficace ; ou tout simplement, retirer le mot de ce vocabulaire commun pour en utiliser d'autres. Ainsi, dans l’Antiquité, la « liberté » désignait surtout le fait de ne pas être esclave. Aujourd’hui c’est une notion complexe englobant la liberté d’expression, de conscience, de mouvement. Le mot est resté, mais sa définition a changé.
Durant des siècles en français, le mot genre, ne s'est appliqué que dans le domaine grammatical (masculin, féminin, neutre). Aujourd’hui, le genre est une notion sociologique et identitaire désignant les rôles, comportements et représentations associés au masculin ou au féminin, indépendamment du sexe biologique. Là encore, la définition a changé.
Le mot race, en revanche, utilisé sans nuances scientifiques pour classer les humains selon des critères physiques, est aujourd’hui rejeté dans les sciences humaines et biologiques comme catégorie non pertinente pour l’espèce humaine. Ce terme, elle est en train de disparaître du vocabulaire commun, sauf à vouloir volontairement créer la polémique dans le débat public.
Adieu le charisme donc. Préférons lui le terme : éthos.
L’éthos, en rhétorique, c’est l’image que vous donnez de vous-même quand vous parlez.
Selon Aristote, il repose sur trois qualités :
La compétence — je sais de quoi je parle.
L’intégrité — je suis digne de confiance.
La bienveillance — je vous respecte.
Quand votre public perçoit ces trois éléments, il vous accorde du crédit.
Et ce crédit, c’est la vraie base de l’impact oratoire.
Le charisme, au fond, ce n’est qu’un éthos perçu comme parfaitement aligné avec la situation.
Et c’est là que tout devient passionnant. Parce que l’éthos est malléable.
Vous pouvez choisir d’adopter :
Un éthos d’expert : sobre, rigoureux, précis ;
Un éthos de sincérité : incarné, vulnérable, authentique ;
Un éthos de stratège : posé, observateur, acéré.
Et surtout : vous pouvez le moduler selon le contexte.
Dans une réunion tendue, un silence bien tenu peut asseoir un éthos d’autorité.
Dans une négociation, une phrase posée au bon moment peut déstabiliser l’éthos adverse.
Dans un débat, vous pouvez faire chuter l’éthos de l’autre sans attaquer ses arguments, simplement en exposant ses incohérences, ses ambiguïtés, ou son mépris.
C’est ça, l’escrime oratoire.
Pas seulement l’art de dire. L’art de faire entendre ce que l’autre veut cacher. Rien de mystique. Rien d’inné.
Ce n’est pas une aura. C’est une adéquation entre ce que vous êtes, ce que vous montrez, ce que l’autre attend, et ce que la situation exige.
Et cette adéquation peut se travailler. Se répéter. Se perfectionner.
Le charisme est mort, vive l'éthos !
Dire que le charisme n’existe pas, ce n’est pas nier qu’on puisse être saisi par une parole, ou un discours. C’est dire que cet effet n’est pas un privilège génétique, mais une compétence rhétorique.
C’est dire que tout orateur, toute oratrice, peut construire un éthos fort.
Pas pour impressionner. Mais pour toucher juste.
Et ça, c’est une libération.
Parce que ça vous rend la main.
Vous avez à cultiver votre posture, votre présence, votre style.
Comme on polit sa lame, on forge son éthos pour un effet produit bien construit, bien ajusté, bien incarné.
Et cet éthos, vous pouvez le façonner, le faire évoluer, le faire vivre.
Attention, vous pouvez perdre votre éthos favorable.
Une maladresse, une phrase inappropriée, une intervention orale à côté de la plaque et votre éthos se fragilise.
C’est le propre de toute construction véritablement humaine, contrairement au charisme qui est un mythe et qui donc a la vie dure l’éthos est une qualité humaine par définition fragile, qu'il convient donc de muscler, de protéger, d'entraîner et de réparer, ou de soigner, au besoin.
Alors, la prochaine fois que vous vous dites :"Je ne suis pas charismatique…"
Reformulez. Dites :"Quel éthos est le plus utile ici, maintenant, pour cet auditoire ?Et comment puis-je le poser ?"
Là, vous devenez orateur.
Là, vous devenez escrimeur.
Alors, comment se construire un éthos solide et favorable ?
Ce sera le sujet de l’infolettre de jeudi prochain.
Nous contacter : escrime.oratoire@gmail.com



