Ne quémande jamais la mansuétude de ton auditoire.
(Spoil) Il ne te l’accordera pas.
Il est une illusion tenace : croire que si tu te montres modeste, précautionneux, hésitant, le public t’en saura gré. Erreur stratégique. Faute rhétorique majeure.
Ne va pas croire qu'un auditoire silencieux est un auditoire bienveillant.
Personne n'ouvrira la bouche pour te le reprocher, mais si tu commences ton intervention par je vais essayer de ne pas être trop ennuyeux… dans une vingtaine de crânes s’entend trop tard, tu me saoules déjà !
Idem avec je ne suis pas un spécialiste du sujet… Ce que je vais dire n’est peut-être pas très original… Ma question peut vous sembler idiote… dans dix têtes au moins, ça grogne déjà : alors ferme ta gueule !
Et je vous laisse imaginer (à titre d’exercice) le type de réaction que peuvent susciter les phrases comme :
Bonjour à toutes et à tous, je suis un peu impressionné de parler devant autant de monde…
Il fait chaud / il est tôt / c’est l’heure de la sieste, j’espère que vous tiendrez le coup…
Je ne sais pas vraiment par où commencer…
Je ne vais pas vous faire un long discours… (juste avant de le faire)
J’ai préparé quelque chose rapidement, donc ce ne sera pas parfait…
Je ne veux surtout pas vous faire la leçon… (juste avant de le faire)
Je suis sûr que vous connaissez déjà tout ça, mais je vais quand même le dire…
Je vais essayer d’être clair, ce n’est pas facile…
Je vais parler un peu de moi avant d’entrer dans le vif du sujet…
Ce que je vais dire n’a peut-être pas grand-chose à voir avec le thème, mais bon…
Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour préparer, alors je vais improviser… »
J’espère ne pas dépasser le temps, mais je vais devoir parler un peu vite… »
Je suis là un peu par hasard, donc ne m’en tenez pas rigueur…
Que ce type de phrase constitue le démarrage de ton allocution, ou la phrase liminaire quand tu poses une question ou prends la parole dans une réunion ou une conférence, l’effet est exactement le même. Catastrophique.
Ton auditoire est composé d’humains, et un humain, ça pense vite, ça juge vite, ça classe vite!
Quand tu offres toi-même l’occasion de te rabaisser, la majorité silencieuse le fait intérieurement sans même s’en rendre compte.
Ton propos est fragilisé avant même d’avoir commencé. Tu viens d’installer le piège dans lequel tu vas tomber. Tu t’es sabordé dès la première phrase.
Comprends bien :
Tu veux l’indulgence ? On ne te la donnera pas.
Tu veux l’écoute ? Utilise ton aplomb, pas tes tremblements.
Et surtout : ne commence jamais par abaisser ta voix en pensant qu’on t’en aimera davantage.
Si tu parles en te faisant petit, le public t’écoutera en te regardant de haut.
Oui. Certaines de tes prises de parole ressemblent à des effractions.
Parfois tu montes sur scène, ou tu ouvres la bouche dans une réunion, comme si tu y étais de trop. Les regards t’auscultent. Les mâchoires se serrent. Les silences s’alourdissent. Tu n’as encore rien dit, mais tu sens que tout, ici, semble murmurer : Tu vas devoir prouver que tu as le droit d’être là.
Alors, tu t’excuses par avance pour tenter d'amoindrir le choc.
Mais tu t’autosabotes. Tu sabres ton propos avant même de le servir. Tu t’abaisses sous le regard d’autrui comme un invité indésirable qui s’excuse d’avoir osé frapper à la porte.
Quand tu t’excuses de parler, tu t’excuses d’exister.
Tu crois que tu gagnes en bienveillance. Tu perds en crédibilité.
Tu crois que tu apaises. Tu dégonfles ta parole.
Et pendant ce temps, pendant que tu marches sur des œufs, les plus médiocres, les plus bruyants, les plus arrogants n’ont aucune gêne à s’imposer.
Eux ne doutent jamais. Ils ne s’interrogent pas sur leur légitimité. Ils parlent. Ils occupent le terrain. Ils s’installent.
Et souvent, ils emportent l’adhésion, non pas parce qu’ils ont raison, mais parce qu’ils ne s’excusent pas d’être là.
Parler, ce n’est pas demander la permission.
Parler, c’est prendre la parole et tenir cette parole. Tu n’as pas à quémander ta légitimité. Tu n’as pas à tempérer ton message pour le rendre plus digeste. Tu n’as pas à réduire ton propos pour ménager les susceptibilités imaginaires de ceux qui t’écoutent.
Dans une salle d’audience ; les meilleurs avocats ne sont pas ceux qui récitent un discours consensuel, mais ceux qui tiennent une ligne claire, qui la défendent sans mollesse, qui font entendre une voix singulière, même quand elle dérange. Même quand elle déplaît.
Écoute les grandes voix du débat public. Aucune ne commence par s’excuser.
Elles affirment.
En escrime oratoire, le syndrome de l’imposteur est mortel.
Ne te désarme pas. Ne devance pas la critique. Ne plie pas le dos par modestie mal placée.
En débat, on ne demande pas la permission de parler : on parle !
On s’impose. Calme, clair, droit. Pas besoin d’être arrogant.
Le simple fait de prendre la parole, d'oser poser une question ou de donner une réponse installe ta légitimité.
Tu veux paraitre (être) humble ? Très bien. Mais l’humilité n’a jamais été l’annulation de soi.
L’humilité, c’est tenir sa parole sans chercher à écraser celle des autres, mais sans jamais l’amoindrir à leurs regards.
Ose dire : Je suis là. J’ai quelque chose à dire. Et je vais le dire.
Pas pour obtenir l’adhésion. Pas pour plaire. Pas pour briller. Mais pour contribuer.
Tu n’es jamais un imposteur. Tu es dans le monde.
Tu es témoin de ce que tu vis, de ce que tu sais, de ce que tu penses. Et ça suffit pour parler.
Installe-toi devant le micro, lève le doigt en réunion et parle, pose ta question, exprime ton objection, donne ton avis. Calmement, distinctement, avec des mots qui ne sont que les tiens.
Parce que c’est ton moment. Et que si ce n’est pas toi, quelqu’un d’autre le fera à ta place. Quelqu’un de moins lucide, de moins bon connaisseur du sujet, de plus confus, de plus stupide.
Mais quelqu’un qui, lui, n’hésitera pas.
Alors, la prochaine fois que l’occasion se présentera, dans une salle, un bureau, un amphi ou un micro tendu, pose-toi une seule question : vas-tu t’excuser d’exister… ou vas-tu parler ?
Et peut-être qu’à force de parler sans t’excuser, d’autres oseront à leur tour, parce que tu leur auras montré que c’est possible.



