Quand le silence devient riposte.
Les généraux américains face à Donald Trump.
Le 30 septembre 2025, dans un auditorium de Quantico en Virginie, Donald Trump et son secrétaire à la Défense (tout récemment renommé secrétaire à la guerre), Pete Hegseth, s’adressent aux plus hauts gradés de l’armée américaine ; 800 généraux et amiraux habituellement en poste dans le monde entier se voient réunis dans la même pièce. Le dispositif est voulu par le Commander in chief pour obtenir une adhésion publique, le décor est planté pour une ovation.
Or il n’en fut rien, à la fin des deux discours, ce que l’on a entendu, ce fut… le silence.
Un silence massif, un silence armé, si j’ose dire, un silence qui a frappé tous les observateurs, au point que le président, piqué, a lui-même demandé des applaudissements qui ne sont pas venus.
Scène rare, lourde de signification politique et managériale, mais également rhétorique, et c’est bien entendu à cette dernière thématique que nous allons nous intéresser.
Le rôle attendu de l’acclamation.
En rhétorique, l’acclamation (applaudissements, rires, ovations) n’est pas un simple ornement sonore, elle est un acte fort, car elle accrédite l’orateur, elle transforme son discours en fait collectif. Sans acclamation, le discours est sans effet, raté. Dans le monde du stand-up, quand la vanne ne déclenche aucun rire, on appelle ça un bide.
Lorsque l’orateur attend un retour et ne le reçoit pas, il se retrouve amoindri car son autorité n’est plus confirmée par la salle. Les anciens Romains parlaient d’acclamatio ; nos contemporains diraient que sans le « feedback » du public, l’orateur perd une partie de son ethos, cette aura de légitimité qui fait que sa parole s’impose.
À Quantico, les généraux ont refusé cette acclamation. Ils n’ont pas sifflé, ils n’ont pas hué, ils ont laissé les mots de Trump et Hegseth au sol, se dissoudre. Leur silence, ce non-acte devient un contre-acte.
Pourquoi ce silence ?
Trois raisons l’expliquent :
1. La neutralité. Devant des paroles saturées d’idéologie partisane, guerre intérieure, emploi des forces sur le sol américain, purges anti-woke, anti-barbe et anti-embonpoint, les officiers choisissent la réserve. Ni approbation, ni désapprobation, en toute circonstance un quatre étoiles sait se tenir. Leur silence est celui de la discipline.
2. La dissonance des registres. Trump, tribun politique, recherche l’ovation, Dans chacun de ses discours il s’en nourrit même et bien de ces provocations, de ces digressions, n’ont d’autre but que de provoquer l’acclamation. Les généraux, habitués à la gravité institutionnelle, ne partagent pas ce registre et très logiquement la salle refuse d’entrer dans le jeu de cette mise en scène.
On peut s’étonner (ou pas) que Trump ait pu penser un seul instant les faire sortir de leur réserve, et imaginer les transformer en fans américains de la Ryder Cup, à laquelle il avait assisté quelques heures auparavant, espérant les voir hurler comme un seul homme « USA ! USA ! USA ! » Il est vrai que le président américain vit dans un monde où on lui « cire les pompes » sans discontinuer. Ainsi au mois de mai dernier, une réunion entre Trump et ses ministres filmée et retransmise dans son intégralité, nous avait permis de voir le président et ses ministres au travail. Chaque prise de parole de l’un ou l’autre était un concours de flagornerie et de « brosse à reluire » à son intention, et il se délectait visiblement des fleurs que lui lançaient les flatteurs qui l’entouraient par bouquet entier, les laissant parler sans jamais les interrompre. C’était à qui rendrait le plus grand hommage au président, à qui tresserait les plus belles couronnes de laurier, à qui formulait la flatterie la plus » énoooorme ».
Le conseiller à la Sécurité nationale, a affirmé en fixant Trump dans les yeux : « C’est un honneur de servir dans votre administration. Je pense que le monde va beaucoup mieux et est devenu un endroit beaucoup plus sûr depuis votre élection ». La palme d’or revient sans doute à la procureure générale, Pam Bondi, qui affirma sans rougir : « Monsieur le président, vos cent premiers jours ont largement dépassé ceux de toute autre présidence dans ce pays. Je n’ai jamais rien vu de tel. Merci. » Au cours de cette réunion, Pete Hegseth, avait ainsi déclaré « depuis l’élection du président Trump, on assiste à une véritable renaissance du recrutement. Les hommes et les femmes aux Etats-Unis veulent rejoindre l’armée américaine dirigée par le président Donald Trump ».
3. Le trouble, voire le refus. Parler de guerre intérieure et de déploiement de l’armée pour des missions de maintien de l’ordre dans les plus grandes villes du pays, gouvernées bien évidemment par les Démocrates, c’est nier l’esprit constitutionnel. Rappelons que les militaires américains jurent fidélité à la Constitution et non au président. Le silence devient alors une réponse en filigrane.
Une leçon d’escrime oratoire.
En termes rhétoriques, le silence a des effets qui dépassent le seul épisode de Quantico. Il constitue une arme discrète mais redoutable, dont la portée se vérifie dans de nombreux contextes : salles de conseil, assemblées politiques, débats publics, réunions professionnelles. Trois fonctions principales peuvent être distinguées.
Il délégitime immédiatement.
L’orateur qui attend une approbation visible — un applaudissement, un signe, un acquiescement — et ne l’obtient pas, voit son autorité entamée. Ce qui devait être un moment de triomphe se retourne en exposition de fragilité. Le chef paraît quémander plus que diriger, insister plus que convaincre.
Il fabrique le récit médiatique.
Dans toute situation où il existe des relais (journalistes, observateurs, témoins), l’absence de réaction peut devenir le fait marquant. On ne retient plus les arguments avancés, mais l’absence d’écho. Le « non-acte » se transforme en événement, parfois plus fort que l’acte lui-même.
Il protège l’institution ou l’individu.
Dans un cadre hiérarchique, professionnel ou politique, le silence permet d’éviter le piège d’une adhésion ostensible ou d’une opposition frontale. On maintient la forme (présence, écoute, respect) tout en refusant de se compromettre. Le silence devient alors un bouclier : il neutralise sans agresser, il installe une distance sans rompre.
Nous pourrions appeler cela la riposte silencieuse, une stratégie d’escrime oratoire qui consiste à ne pas nourrir la dynamique de l’adversaire. Ni applaudissements, ni huées mais un vide qui, paradoxalement, parle très fort.
Le silence est une arme à part entière.
Il ne dit ni « oui » ni « non », mais il retire à l’autre la confirmation qu’il attend. En refusant de réagir, on prive l’adversaire de la validation sociale qui fait tenir son discours.
C’est une riposte sans exposition. L’orateur s’élance, cherche l’écho, et se heurte au vide. La dynamique retombe d’elle-même, sans qu’il soit nécessaire d’attaquer ou de contredire frontalement.
C’est une posture d’autodéfense. Dans les situations où applaudir, protester ou interrompre serait risqué, le silence protège et transmet malgré tout un message clair : « Je ne cautionne pas. »
L’enseignement vaut pour la vie publique comme pour la vie professionnelle, dans une assemblée politique, une salle de conseil d’administration, un entretien hiérarchique ou une simple réunion d’équipe, n’oublions jamais : se taire, parfois, c’est déjà parler et plus fort qu’on ne croit. .




Merci pour cette article et pour la pertinence de votre perspective et de votre analyse. C'est brilliant!